Jérôme Dupeyrat
texte publié dans la revue Superstition suite à l'exposition Insolitus à L'artothèque de Pessac
Julien Zerbone
texte publié à l'occasion de l'exposition Insolitus à L'artothèque de Pessac
Didier Arnaudet
texte publié dans l'édition réalisée à la suite de la résidence à Monflanquin (Pollen)
Isabelle Delamont
texte publié dans l'édition Atelier de la chute
Christophe Kihm
texte publié dans le catalogue de jeunisme 2 par le FRAC Champagne Ardenne
J. Emil Sennewald
texte publié dans le catalogue du 55ème salon de Montrouge
Julien Zerbone
texte publié dans l'édition réalisée à la suite de la résidence à Monflanquin (Pollen)
Entretien avec Nathalie Sécardin
TEXTE PUBLIÉ DANS LA REVUE SUPERSTITION.
INSOLITUS, LA SOTTISE ET L'IDIOTIE PEUVENT-ELLES CASSER DES BRIQUES
En 1988, un individu nommé Pascal Thomas a réalisé un marteau de 4,54 m de long pour un poids de 720 kg. En 2009, Sylvain Bourget a réalisé une oeuvre (et d'autres selon le même principe au sein de la série Les objets records qui relate cet exploit à l'échelle 1/18ème. Tout en restituant le gigantisme de l’objet en le confrontant à une figurine humaine selon des rapports de proportion conformes à l’original, sa réduction en désamorce pourtant la dimension spectaculaire, le marteau ayant retrouvé sa taille normale.
Depuis quelques années, à travers sculptures, dessins et animations vidéos, l’artiste convoque selon des principes analogues un champ de références qui est celui des records, à travers des procédures plastiques qui impliquent le plus souvent la simplification graphique, l’abstraction ou la miniaturisation, autant de moyens qui permettent de tenir à distance des faits et des gestes pouvant susciter en premier lieu une sotte fascination. De la sottise, il y en a dans les œuvres de Sylvain Bourget. C’est elle qui leur confère un humour constituant souvent la première porte d’entrée dans son travail, que l’on ne saurait toutefois réduire à cette seule dimension. Si sottise il y a ici, c’est d’ailleurs au titre d’une "sottise positive", que Clément Rosset distingue de la « sottise négative » en ce qu’elle n’est pas pas une attitude passive (ne pas comprendre, rester bête) mais une posture hautement active, une manière d'être au monde en se consacrant corps et âmes à quelques occupations absurdes qui deviennent pure activité.
Qui plus est, si les pratiques convoquées par Sylvain Bourget relèvent d’un environnement subculturel qui peut sembler sot ou futile, elles évoquent également pour le spectateur quelque peu instruit en matière d’histoire de l’art des gestes qui ne sont pas très éloignés de certaines performances artistiques des dernières décennies. Des gestes à la fonction sociale pas clairement identifiée, oscillant souvent entre l’héroïsme et l’absurdité, le spectaculaire et la banalité, de sorte à ce que les recordmen, sportifs de l’étrange et auteurs d’exploits excentriques qui habitent ce travail ne sont pas sans évoquer la figure de l’artiste contemporain.
On comprend alors que le Guinness des records ou les sites web qui sont parmi les principaux modes d’investigation de Sylvain Bourget, n’offrent pas simplement à ce dernier une liste inépuisable de faits insolites, mais également un répertoire de gestes et de formes dont c’est aussi la valeur performantielle, ou même davantage sculpturale, qu'il s'agit d’observer.
Ce dernier aspect devient tout à fait évident à travers la dernière production de l’artiste, présentée avec d’autres œuvres antérieures à l’artothèque de Pessac dans le cadre d’une exposition personnelle intitulée Insolitus {19/01-31/03/2012} -— est insolite une chose dont on n'a pas d'exemple, une chose unique donc, c'est-à-dire idiote comme le rappelle Rosset pour qui l'idiotie est une propriété à même d'exprimer la réalité du réel : “telle est bien la réalité, et l'ensemble des événements qui la composent : simple, particulière, unique — idiotès —, "idiote"“ . Dans la cour de l’artothèque, sur une estrade produisant à la fois un effet de valorisation esthétique et de mise à distance, s’offre au regard un agencement de matériaux bruts qui composent comme une scénographie : empilements simples mais soignés de parpaings, de briques, de plaques de plâtres et autres matériaux de construction, parmi lesquels se trouvent également deux bouteilles en verre et une batte de baseball. Une telle oeuvre propose une synthèse d'enjeux et d'esthétiques qui caractérise le travail de nombreux autres artistes aujourd'hui, en particulier de la génération de sylvain Bourget (né en 1980) : ainsi l'esthétique est minimaliste, mais le propos bien loin du what you see is what you see de l'art minimal historique ; l'approche plus formaliste que dans la plupart des productions antérieures de l’artiste, mais loin des apories de l’art pour l’art. Ces éléments et leur agencement ont en effet une origine aisément devinable, et que confirme en tous cas le titre de l’installation : Brick Breaking Sculptures. Tous les objets mis en scène de façon silencieuse et statique sur l’estrade sont de ceux que les casseurs de briques s’évertuent à briser avec virulence dans des actions impressionnantes qu’ont popularisées les films de karaté, les émissions télé de divertissement, ainsi que d’innombrables vidéos sur le web.
Si le champ de références dans lequel ont été prélevées ces formes, de même que leur abstraction et leur décontextualisation, assurent une continuité avec ses œuvres précédentes, l’artiste a toutefois procédé ici par déplacement direct de matériaux, et non plus en redessinant ou remodelant des actions. La lecture devient alors plus ambivalente, la possibilité d’une narration moins immédiate, et l’idiote singularité du fait insolite cède la place à la multiplicité des directions que cette œuvre suggère vis-à-vis de la démarche passée-présente-et-à-venir de Sylvain Bourget.
Jérôme Dupeyrat
À travers la documentation de son travail, le site web de l’artiste offre un large panorama de cette culture où se croisent des créateurs d’objets surdimensionnés, des auteurs de performances physiques improbables (ex. : porter une brique de 4 kg à bras tendus pendant une marche de 92 km), des constructeurs de châteaux de cartes et d’édifices en dominos, des champions d’acrobaties pizzaïolesques, des coureurs en chaises de bureau, des lanceurs de bottes de pailles, etc.
Clément Rosset, Le Réel : Traité de l’idiotie, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
Clément Rosset, Le Réel et son double : essai sur l’illusion, Paris, Gallimard, 1976, p. 36